Son métier lui apporte beaucoup de joie et de satisfaction, Frédéric Carpentier est ce que l'on appelle un réalisateur de la vraie vie. Présent dans les lieux que l'on ne montre pas, ou mal, il offre aux jeunes une seconde chance avec un projet cinématographique fort « Jeunesse Sauvage » sortit lundi en guise de réouverture des salles obscures. Rencontre avec Frédéric Carpentier, le cinéma pour tous !
« Lundi est sorti en salles votre film « Jeunesse Sauvage ». En quelques lignes, de quoi ça parle ?
C'est le parcours d'un chef de bande qui maintient son groupe et qui va être confronté à des désirs un peu adverses de la part de son bras droit qui souhaite monter les échelles de la criminalité.
Pour ce long-métrage, c'est le cas de le dire, vous êtes passé par un casting sauvage…
Quand j'ai rencontré Pablo Cobo, il était un rappeur sans expérience dans le cinéma. Il n'avait pas le gabarit pour être chef de bande, il pesait 58 kilos pour 1m83. Mais il avait une démarche féline, et l'allure qu'il fallait pour pouvoir incarner le personnage. Le film a été ajourné, ce qui nous a laissé du temps pour bien se préparer. Pendant un an, de manière très assidue, sous forme d'atelier, on a travaillé avec Pablo sur des textes d'autres films. Je lui ai appris tous les ressorts du jeu d'acteur, ce qui a donné 1 200 vidéos de travail, c’est exceptionnel ! En parallèle, il faisait de la musculation et suivait un régime très strict pour prendre huit kilos de muscle.
Vous êtes son premier formateur dans l'industrie cinématographique.
C'est un peu comme s'il avait eu un Conservatoire particulier. Ça a permis à ce qu’il incarne parfaitement le personnage. Quand il est arrivé sur le tournage, il était Raphael.
Dans son ensemble, le casting est très physique avec de vraies personnalités...
Pour les autres acteurs, j'ai effectivement fait un casting sauvage qui a été très long et difficile. Je tenais beaucoup à ce que ces jeunes aient un parcours compliqué. J'avais très envie de leur offrir une seconde chance dans la vie, c'est mon propos à travers ce film. Je suis allé les chercher très loin dans la société.
Par exemple, Darren Muselet avait une vie très compliquée à Boulogne-sur-Mer et le voir en 2019 monter les marches du festival de Cannes avec le film « Hors Normes » d'Eric Tolédano et Olivier Nakache, c’est extraordinaire. J'ai été très ému, j'en ai pleuré. Aujourd'hui, il est une étoile montante du cinéma français avec plusieurs films à son actif. Darren est une des belles réussites du film, c'est excellent de voir son parcours d'acteur.
Il y a quelques jours, j'étais au téléphone avec un jeune qui me disait à quel point c'était important pour lui d'avoir joué dans ce film. Ils ont saisi cette opportunité qui leur a permis de changer leur vie financièrement et personnellement. Un autre m'a dit : « Tu te rappelles Fred, là où tu es venu me chercher, c'est là où personne ne serait jamais venu me chercher », il était en Centre Éducatif Fermé. C'est un très beau compliment qui m’a beaucoup touché.
Vous avez un regard très précis sur la société actuelle...
Aujourd'hui, il y a un désir d'amener une population, qui fait partie de la population française, qu'on ne voit pas encore assez à mon goût. Il y a énormément de talents dans les cités, beaucoup plus que l'on croit. J'aimerais que la société entière aille dans ses cités pour aller chercher ces talents pour tous les métiers. Je ne comprends pas comment cette société peut se satisfaire de ne pas le faire.
J'ai revu le film lundi et ça m’a vraiment ému de voir tout le beau jeu d'acteur. J'ai gardé contact avec tous ces jeunes et je suis content de voir que ça leur a donné une confiance en eux. La société n'a pas la bonne attitude envers eux. Souvent, on leur demande de ne rien dire, qu’ils n’ont pas le droit d'exister, ce genre de discours très dur à entendre. J’ai une belle composition de salles que je dois beaucoup à Fratel Films qui sont d'excellents distributeurs et qui ont fait un gros travail pour distribuer ce film dans toute la France. Il n'y a pas de têtes d'affiche mais une belle énergie que Fratel Films a su imposer partout. J’en suis très reconnaissant.
Quel premier bilan dresseriez-vous de la réouverture des salles obscures ?
Les gens vont timidement dans les salles même si je pense qu'ils vont y retourner petit à petit. Lundi, ce n'était pas une grosse journée pour tout le monde mais ça a bien marché pour « Jeunesse Sauvage ».
Pablo Cobo me disait que vous aviez fait énormément de repérages dans la ville de Sète.
Dans un premier temps, avec mon chef opérateur Romain Le Bonniec on a sillonné pendant huit jours le littoral méditerranéen - de Port-la-Nouvelle à Nice - à la recherche d'un port maritime avec un cimetière marin. Le décor parfait se trouvait à Sète. C'est le seul port maritime qu'on peut voir depuis le Mont Saint Clair qui est à l'origine de cette ville. Pour une bande de voleurs qui décide de s'en prendre au port, c'était un point de vue absolument excellent.
Une ville qui est aussi un personnage important du film...
On l'appelle « La petite Venise », elle est entre la mer Méditerranée et l'étang de Thau qui est immense. C'est une ville bordée d'eau, chamarrée, colorée et très joyeuse. Les habitants ont développé un tempérament festif et surtout insulaire. Chaque quartier de Sète a une identité très forte. C'était un vrai bonheur de pouvoir tourner à Sète. J’avais 49 décors, ce qui est énorme sur cinq semaines de tournage.
Le maire François Commeinhes a vraiment un goût pour le cinéma et l'art qui est très clair. Il m’a donné accès à toute la ville, je n'ai eu aucun problème. J'ai dû tourner dans une des rues de la ville et je m'aperçois que la rue d'à côté est beaucoup plus belle cinématographiquement. Je passe un coup de téléphone à la mairie et on m'annonce que le maire va me signer le papier pour que je puisse tourner. C'est un vrai soulagement pour un réalisateur d'avoir cette liberté-là. On a aussi fait un bel échange avec les Sétois, nous ne sommes pas justes venus investir la ville comme ça. On a beaucoup travaillé avec eux, on a mangé dans leurs restaurants et ils venaient comme figurants.
Avant « Jeunesse Sauvage », vous aviez déjà réalisé plusieurs courts-métrages, documentaires ainsi qu'un film tourné en pellicule pour ARTE. Comment est née cette envie de faire du cinéma chez vous ?
Je pensais que c'était un métier totalement inaccessible. Je voulais être écrivain. En étant dramaturge pour une compagnie de théâtre, un réalisateur a beaucoup aimé mon écriture et il m’a proposé d'être son scénariste. Au départ j'ai refusé, il a insisté et il a bien eu raison puisque ça m’a beaucoup plu et ça m'a lancé dans ce métier.
Le cinéma m'apporte beaucoup de joie et de satisfaction même si c'est un métier fragile. Pendant le confinement, j'ai vu que ça pouvait disparaître du jour au lendemain. J'ai eu le Coronavirus, mon film devait sortir le 10 juin, ça m’a fait réfléchir et j'ai absolument voulu, pour renouer l'échange avec le spectateur, sortir le film le jour de la réouverture des salles. C'est aussi une façon de dire que notre métier nous réunit tous.
Quels sont vos futurs projets ?
J'ai le projet de faire une comédie sociale dans le milieu ouvrier que je connais très bien. Je voudrais aussi faire des films sur le parcours d'autres jeunes à travers la création de leur propre identité. Aujourd'hui, on voit que faire ce métier c'est très pluriel donc j’ai également des projets avec des séries et un unitaire intitulé LENA pour la télévision avec NORD-OUEST Productions. »
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