Il y a des évidences qui s’imposent, des chemins qui ne demandent qu’à être suivis. Pour Cyril Metzger, le théâtre est de ceux-là. Une nécessité. Un espace où les mots, loin d’être une contrainte, deviennent un allié, une force. Dyslexique, Cyril a trouvé dans l’écriture théâtrale un appui essentiel, une manière d’apprivoiser les mots des autres pour mieux comprendre les siens. Après un parcours marqué par la quête de justesse et d’émotion, il se lance pour la première fois dans le théâtre privé, une nouvelle étape qu’il aborde avec curiosité et excitation. Rencontre.

« Cyril, on te retrouve actuellement à l’affiche de la série Winter Palace sur Netflix. Quelle présentation ferais-tu d’André Morel, ton personnage ?
C’est un jeune homme qui revient dans son village natal, en Suisse, avec le rêve de créer un hôtel de luxe. C’est un visionnaire. On est en 1889, il n’y a pas d’électricité, rien. La montagne n’est pas encore pratiquée comme elle peut l’être maintenant. Les conditions sont difficiles. La Suisse est recouverte de neige, il n’y a pratiquement que de la paysannerie. André Morel va essayer de transmettre sa vision aux gens qui l’entourent, et ça ne va pas être sans difficultés.
Qu’est-ce qui t’a plu à la lecture du scénario ?
Il y a deux facettes. La première, c’est de me voir proposer un premier rôle, on ne va pas se mentir. Ça ne m’était jamais arrivé. Rien que le fait d’être considéré, t’es heureux. Ensuite, j’ai été absorbé par ce que j’ai lu. André Morel me fait penser à moi. J’ai eu besoin de quitter la Suisse pour Lille quand j’avais vingt ans, c’était plus loin de chez moi et avant ça, je n’avais jamais vécu en ville de ma vie. Il y a cette phrase de Jean-Luc Lagarce : « Qui n’a pas quitté son pays à trente ans, ne le quittera plus jamais. » Il me fallait vivre à Paris avant que ça me rende trop dur et partir de Genève avant que ça ne me rende trop doux. André Morel est prêt à tout pour réaliser son rêve, peu de choses vont l’en empêcher. Ça peut être violent, virulent, mais je peux comprendre par endroit. On veut que les gens fassent des choses folles, mais on ne leur permet pas d’être fous. Je me reconnais assez là-dedans.
Que lui as-tu apporté ?
L’autrice britannique de la série Lindsay Chapero ne va pas aimer ce que je vais dire, mais je trouvais le personnage un peu dur, il manquait clairement de tact. On s’est donc mis d’accord avec le réalisateur, Pierre Monnard, pour que je puisse lui apporter plus d’empathie. André Morel est tellement ancré dans son rêve qu’il en oublie un peu ce qu’il y a autour. Il est aussi très humain, même s’il fait plein de bourdes.
Pour avoir vu quelques images de la série, on ressent une réelle identité visuelle...
Oui. Je suis passionné d’art sartorial, des costumes, des tissus qui ont d’ailleurs été faits sur mesure pour Winter Palace. Connaissant bien les costumes du début de ce siècle, j’ai voulu apporter ma touche en proposant une ganse, par exemple. Chez les hommes, ça reste des classiques trois pièces. Dans la manière d’être filmée, la série a une esthétique « belle époque », avec un côté un peu kitsch. Par exemple, des fonds verts se voient légèrement ou quand un chauffeur tourne le volant, on voit qu’en arrière-plan le paysage ne tourne pas forcément. C’est volontaire et j’aime beaucoup.
Winter Palace est la première grosse production de Netflix en Suisse...
La Suisse n’est pas un pays cinématographiquement sur la carte, comparée à nos confrères belges qui sont pourtant deux millions de moins que nous. La Suisse, c’est une autre culture. Il y a plus de similarité entre un français et un italien qu’entre un français et un suisse francophone. C’est une autre manière de penser. En Suisse, il y a ce côté nordique, germanique, où il ne faut pas dépasser, ne pas se faire voir. Un livre de Fritz Zorn en parle bien, avec l’exemple d’une mère millionnaire achetant des assiettes blanches à 500 euros la pièce, mais qui ressemblent aux assiettes blanches d’Ikea. C’est très suisse. J’espère qu’on aura encore plus de grande production et surtout que les plateformes vont nous apporter une plus grande visibilité à l’étranger, parce que sinon, nos films ne seront vus que sur notre territoire, pratiquement.
En attendant la série, on pourra venir t’applaudir sur la scène du Théâtre Lepic à partir du 29 janvier dans le spectacle Fête des Mères d’Adèle Rogné. De quoi ça parle ?
C’est l’histoire d’une humoriste de retour dans sa famille pour la fête des Mères. Ses deux frères sont présents, ainsi que le copain du frère aîné (que j’incarne) et une dame étrange, qu’on ne connaît pas. La mère, elle, ne sera pas présente. Cette pièce s’inscrit entre la série Fleabag et l’univers de Bacri-Jaoui. C’est satyrique et intelligent. Il y a du sublime et du Bigard. L’alliance des deux nous saisit, et pas mal de gens sont touchés à la fin. Je n’ai jamais fait de comédie, donc ça va me faire beaucoup de bien.
Tu incarneras Arthur. Qui est-il ?
C’est le compagnon de Gabriel, l’aîné de la famille. Quand tu es invité au repas de ta belle famille, il y a deux manières d’être : soit tu es la pièce rapportée, soit tu es la valeur ajoutée. Il faut bien trouver ton endroit (rires). Gabriel va très mal introduire Arthur, ce qui va le faire vriller et lui faire décider de mal se comporter durant toute la rencontre, jusqu’à en devenir un personnage loufoque. Arthur est un médecin assez brillant et va se comporter comme un gros lourd, un mec méchant pour punir son mec d’être un salaud.
Quel rapport entretiens-tu avec le jeu sur les planches ?
Au théâtre, personne ne va te couper (normalement), ce qui est incroyable mais aussi très dur. L’instant est à toi. Il y a peu de moments dans la vie, j’ai l’impression, où l’on ne peut pas être coupé. On peut retrouver ça dans la montagne, dans des moments méditatifs, mais qui ne sont tout de même pas en lien avec la parole. Au théâtre, les textes sont très écrits, c’est plus rare au cinéma. Je suis dyslexique, j’arrive à bien formuler mon état d’âme mais souvent, ce sont les textes de théâtre qui m’aident à mieux me comprendre. Perdican, que j’ai incarné sur scène, c’est ça. Il se bat pour l’amour et à cette phrase incroyable qu’il dit à Camille : « On est souvent trompé en amour, souvent blessé et souvent malheureux, mais on aime et quand on est assis sur le bord de sa tombe, on se retourne pour regarder en arrière et on se dit ‘j’ai vécu, j’ai souffert souvent, je suis tombé parfois, mais j’ai aimé. C’est moi qui ai vécu et non pas un être factice créé par mon orgueil et mon ennui.' » Tout ça pour te dire, Samuel, qu’au cinéma, on doit voir le monde intérieur à travers ton œil, car le monde est dedans. Alors qu’au théâtre, comme les gens sont plus loin, le monde doit être dehors, tu dois le sortir. C’est assez jouissif.
Comment te sens-tu les jours de représentation ? Penses-tu à la pièce toute la journée ? Comment te prépares-tu ?
Il faut savoir que tout le monde a le trac. C’était la réponse de Louis Jouvet à une jeune actrice quand il était prof au Conservatoire et qu’elle lui a dit ne jamais avoir le trac : « C’est normal, ça vient avec le talent. » Pour gérer au mieux mon trac, j’ai mes petites habitudes, comme le sport par exemple. Ensuite, j’aime bien arriver au dernier moment, ça ne veut pas dire que je ne me refais pas le texte dans la journée ou que je ne fais pas d’Italienne, de répétitions avec mes camarades. J’aime mettre mon costume et, si possible, qu’il soit encore un peu cartonneux, comme s’il avait été repassé ou venait d’être lavé. Je fais des petits échauffements de voix et d’articulations quand je suis sur le trajet. Lorsque je jouais à l’Odéon, j’ouvrais le spectacle en disant « Salut, salut, ça roule !? » J’arrivais dix minutes avant l’entrée du public, pour les essais micros et je me sentais frais. Comme je suis assez traqueux, si j’attends deux heures avant, j’ai envie de mourir.
Tu as fait tes premiers pas au théâtre pour vaincre la dyslexie. Tu t’en souviens ?
Non, pas du tout. Ma mère m’a raconté que j’ai joué, pour ma première, Le Bouillon dans Le Petit Nicolas. J’étais petit, je devais avoir six ans. Ma maman avait remercié la prof de m’avoir appris le texte, car à la maison, on ne pouvait pas me le faire, mais la prof lui a répondu qu’elle n’y était pour rien ! On ne sait donc pas comment je l’ai appris (rires) alors que je galérais vraiment à lire à ce moment-là. Beaucoup de dyslexiques travaillent dans l’écoute. Vers 7 ans, j’ai appris tous les dialogues du film Mulan en entier, puis un des spectacles de Coluche et les 1h30 de Christophe Alévêque que je refaisais ensuite. Faire le sketch de La Pute, de Coluche, à huit ans, le jour de Noël… La famille faisait des têtes ! Je ne comprenais pas ce que je disais, mais j’avais appris toutes les intonations.
Quelle place occupait le cinéma, l'art en général, à la maison ?
Aucune. Je suis un enfant de la télé, je regardais beaucoup d’émissions et peu de films, en réalité. Le monde féerique des Miyazaki m’a un peu bercé. Mon grand-père m’emmenait occasionnellement au théâtre. À la maison, c'étaient plus les CD et les radios cassettes. Mon père écoutait beaucoup Desproges, Devos ; ce côté de la France. Et puis j’ai toujours eu la tchatche, c’est un point commun avec André Morel.
Qu'as-tu appris à l'Ecole du Nord, à Lille ?
En arrivant à Lille, je suis tout seul, je ne peux pas faire les allers-retours le week-end. J’ai donc appris à gérer la solitude, alors que j’avais terriblement peur de ça, encore aujourd’hui. Ma vie devenait monacale. On était tout le temps ensemble avec les membres de la promo, on ne vivait que théâtre. Le soir, on allait voir toutes les pièces qui se jouaient dans la région. Au début, tu fais ce métier pour être aimé. Puis après tu continues pour de bonnes raisons. J’avais un complexe d’infériorité car la plupart étaient meilleurs que moi, certains sortaient de la Classe Libre de Florent et moi d’une année de théâtre en semi-pro. J’étais tétanisé. Christophe Rauck, le directeur de l’école de théâtre, connaissait bien mon père puisqu’ils avaient grandi tous les deux à Nice dans les années 80, ils bossaient sur les mêmes chantiers. Un jour, alors que j’étais pétrifié sur scène, Christophe m’a dit cette phrase qui a servi de déclic : « Mais putain, ton père il est carreleur, patate ! Quand il pose un carreau et que le carreau il pète, il ne dit pas que le carreau il lui en veut. Alors pourquoi toi, quand tu n’arrives pas à jouer la scène, tu t’en veux ? C’est soit qu’il y a un problème d’espace, soit une incompréhension du texte, soit tu n’as pas bien compris les enjeux de la scène, mais ce n’est pas. Arrête de dire que c’est toi ! » Je te promets, Samuel, d’avoir eu une espèce de déflagration à ce moment-là.
Quels sont tes prochains projets ?
Pendant la pièce Fête des Mères, je vais tourner en allemand dans le film Allô Betty, à Zurich, en Suisse alémanique. J’ai un coach pour maîtriser cette langue expressive que je connais. Ensuite, j’ai une série pour HBO avec Sébastien Marnier, l’un des réalisateurs de la série Les Enfants sont rois sur Disney +, dans laquelle j’ai eu mon premier rôle de méchant.
Pour conclure cet entretien, aurais-tu une citation fétiche à me délivrer ?
« Les choses m’arrivent au moment où je les raconte » de Peter Handke. »
Opmerkingen