De passage à Aix-en-Provence, Charlie Dupont et Tania Garbarski ont élu domicile avec leur troupe au théâtre du Jeu de Paume pour Les aventures de Zelinda et Lindoro, d'après la trilogie de Carlo Goldoni, maître italien des troubles amoureux. Et c'est dans l'un des salons de l'hôtel Pigonnet, habillé de portraits d'artistes passés par la Provence que Charlie et Tania ont pris le temps de retransmettre leur amour des planches, avec simplicité et passion.
« On vous retrouve actuellement au théâtre du Jeu de Paume pour le feuilleton Goldoni mise en scène par Murielle Mayette-Holtz. Tania, Charlie, qu’est-ce qui vous a séduit dans ce projet ?
Tania : En premier, c’est la rencontre avec Murielle. Je connaissais la grande dame de théâtre qui a dirigé la Comédie Française pendant deux mandats, ainsi que la Villa Médicis. Charlie et moi on était plutôt ces derniers temps dans le circuit du théâtre privé en France et je ne m’attendais pas du tout à ce qu’on nous propose de participer à une grande aventure de troupe. Muriel est une pédagogue hallucinante, j’ai beaucoup appris avec elle. À nos âges, apprendre encore et toujours est un cadeau précieux.
Charlie : Dans ce métier, il y a des gens qui imposent le respect et des gens qui inspirent le respect. Muriel a quelque chose d’indiscutablement talentueux et dédié au théâtre. Je n’avais jamais été dans ce registre de théâtre, le classique n’est pas du tout ma zone de confort. On y a été très massivement. Quand tu te fous à poil devant une personne bienveillante et aussi talentueuse, ça pose des petites graines de théâtre qui germent en toi. Ce projet nous a été proposé pendant le confinement, on ramait tous et on ne savait pas où on allait. Quand on te propose de passer le printemps à Nice pour répéter une pièce plutôt que d’être chez toi à Bruxelles sous la pluie à te demander si tu joueras un jour, c’est plutôt positif. Je dis souvent que je suis un acteur du confinement. J’ai atterri dans La faute à Rousseau pendant cette période-là. C’est dans la merde que fleurit le lotus.
C’est une chance pour vous de retrouver les planches mais c’est aussi une chance pour le public de vous revoir sur scène…
Tania : C’est la raison pour laquelle on ne peut pas se passer de théâtre. Cette rencontre tous les soirs, en live, le fait qu’une représentation ne ressemble jamais à l’autre selon les gens dans la salle. Les spectateurs ne se rendent parfois pas compte à quel point ils sont acteurs en réalité de ce qui se joue sur scène. C’est un vrai échange et ça nous avait énormément manqué. L’émotion quand ça a réouvert était folle. Les premiers soirs où on avait face à nous des centaines de gens masqués dont on voyait les rires et les sourires dans les yeux, la bouche masquée, ça m’a émue aux larmes.
L’intégrale de cette trilogie est portée par un casting de douze comédiens sur scène. Qu’attendez-vous de vos partenaires de jeu ?
Charlie : C’est comme dans un couple, il faut se surprendre, se faire des petits crocs en jambe, des blagues. Muriel est la première à nous encourager dans ça. Au théâtre, tu es obligé d’être ici, maintenant et profondément. Le ronron est l’ennemi.
Tania : La base, c’est la grande confiance. Muriel souhaite que l’on arrive sur le plateau neutre, sans savoir ce que l’on va faire et que l’on attende que l’autre nous renvoie quelque chose pour répondre. C’est un ping-pong. Mais il faut savoir qu’à la base, le feuilleton Goldoni c’est trois pièces de trois heures. Muriel a coupé pour faire trois pièces d’une heure et quart. On ne devait pas apprendre le texte avant de commencer les répétitions. On a démarré par trois semaines - un confort énorme - à la table, à déchiffrer les trois pièces, à s’arrêter après chaque scène et à discuter sur nos personnages. Ensuite, on s’est mis debout, en costumes du XVIIIe et on a rejoué toutes les scènes en impro avec nos mots à nous, le langage d’aujourd’hui. Pendant ça, un dramaturge, assis à côté de Muriel, prenait des notes. Ils se sont servis des impros des acteurs pour garder le plus intéressant des trois pièces et décider où couper. Brillante idée de Muriel.
On va faire un zoom sur vos personnages. Charlie, tu incarnes Don Roberto, le maître de la maison…
Charlie : L’écriture de Goldoni est brillante à un endroit bien particulier, elle nous donne à voir comme une espèce de vivarium où on pourrait avec une loupe observer des petits insectes sauf que là ce sont des êtres humains. Ce qu’il raconte et c’est très nouveau à l’époque, c’est la vie qui grouille des petites gens dans la maison. C’est une comédie de valet et avec Tania on incarne des maîtres, les vilains, ceux dont il faut se libérer, même si c’est plus subtil que ça. La pièce raconte l’histoire de Zelinda et Lindoro (incarnés par Félicien Juttner et Joséphine de Meaux) et leur incapacité à s’aimer pour des raisons multiples. Mon personnage est complètement amouraché de sa servante Zelinda et ça fout un bordel hiérarchique pas possible. Tout le monde est amoureux de Zelinda, même mon propre fils, mais je voudrais me la garder pour moi. Pour résumer Don Roberto en une phrase ce serait : « Foutez-moi la paix ». Il est au bord du rouleau et aimerait que cette maison soit au calme mais ce n’est pas possible du tout. Roberto est une sorte de parrain pathétique.
Tania, tu interprètes Donna Eleonora…
Tania : C’est l’épouse de Don Roberto et une femme frustrée, elle a l’impression de ne pas être du tout respectée dans cette maison. Elle ne s’entend pas du tout avec son beau-fils et elle donne l’air d’avoir une langue de serpent. Son mari fricote avec sa femme de chambre et donc, comme certaines femmes humiliées, elle réagit de façon très acariâtre.
Charlie : Ce qui est beau comme mouvements chez tous les personnages, c’est qu’ils aimeraient tous avoir la paix et aimer, mais aucun n’y arrive.
Tania : La pièce m’a beaucoup interpellée. Ça a beau être du classique, ça charrie des thèmes très contemporains, notamment mon personnage que je défends corps et âme alors qu’elle est absolument abjecte dans la pièce. Cette femme essaie de se libérer, de s’affranchir dans une époque où les femmes n’avaient pas vraiment leur mot à dire. Son combat est très moderne. Elle voudrait vivre comme elle l’entend et ne pas dépendre de son mari.
Quel chemin avez-vous fait pour vous imprégner d’eux ?
Charlie : Il n’y a pas de règles. Tu dois t’habituer à arriver avec des idées et à devoir les oublier. Je suis arrivé dans un état de non-préparation absolument totale et dont je n’ai pas honte, ça a permis - même si c’était parfois vertigineux - de me mettre à poil. C’est une histoire de disponibilité à l'œuvre et au metteur en scène.
Tania : Il y a quand même un travail important de mémoire. C’est notre job à nous de faire oublier qu’on parle un langage du XVIIIe. La chance d’être un couple d'acteurs nous a permis de se faire répéter l’un et l’autre. On doit pouvoir oublier le texte pour qu’il revienne de façon spontanée et naturelle. C’est encore plus le cas pour une pièce classique que pour du contemporain. Il ne peut pas y avoir d’à peu près.
Charlie : Le travail à faire est de se mettre dans une situation où toi-même tu peux oublier que tu joues.
Dans votre métier, il y a un rapport particulier à l’enfance, parce que vous continuez à jouer toute votre vie. Cette dimension enfantine dans le jeu est-elle la même au théâtre et au cinéma ?
Charlie : La situation que tu vis au cinéma, elle est un peu plus réelle qu’au théâtre. Quand tu es un cow-boy à cheval, généralement tu galopes vraiment. Ça nourrit l’imaginaire.
Tania : À l’inverse, au théâtre, sur un plateau tu es quelqu’un d’autre pour une heure et demie. Tu peux jouer longtemps alors qu’au cinéma tu es interrompu à peu près toutes les 45 secondes pour changer d’axe.
Charlie : Pendant qu’on travaillait avec Muriel à Nice, je tournais en même temps dans Z comme Z de Michel Hazanavicius, un film de zombie où j’aurais pu me dire qu’avoir des zombies en face de moi allaient complètement me faire tripper. J’avais parfois un peu hâte de revenir au théâtre pour faire un truc où il se passe vraiment quelque chose. Je viens de dire l’opposé de ce que j’avais dis et j’assume ce paradoxe (rires).
Vous êtes tous les deux des habitués des planches, vous avez même joué ensemble dans Tuyauterie notamment. Charlie, Tania, avez-vous le souvenir de votre premier public ? Les camarades de classe ? Les parents ?
Tania : Ma maman m’a ressorti une photo de moi petite, déguisée en comtesse pour aller à un carnaval de l’école. Elle m’a dit que ce jour j’aurais dit très fermement : « Je ferai un métier où je me déguise tout le temps. » J’ai commencé le métier assez tôt, j’ai eu envie de le faire vers huit, neuf ans et j'imagine que mes parents ont été mon premier public.
Charlie : L’envie de prendre la réalité et de la transfigurer pour la rendre plus supportable me vient de faire rire mes potes de classe. Au sens théâtral, c’est un spectacle où je joue un hérisson dans Emilie Jolie au Club Méditerranée avec mes parents en vacances. Je dois avoir huit ans. Il y a d’ailleurs de très jolies photos de moi avec les cheveux en pétard. Je pense qu’il y a un moment où le jeu et une forme de second degré deviennent comme un langage.
Vous évoquez tous les deux vos parents, ce sont souvent eux qui donnent les meilleurs conseils...
Tania : On n’est pas épargné par la famille. Mais on a des parents très aimants. Ils sont probablement plus exigeants ou plus pudiques, ça dépend. Au début, mon père était dans la pub avant de devenir réalisateur de films. À dix ans, trois fois par semaine après l’école, ma maman m’emmenait à mes cours de théâtre et elle m’attendait dans la voiture. J'ai été très soutenue par mes parents.
Vous rappelez-vous d’un metteur en scène qui vous a permis d’explorer des aspects de votre personnalité que vous ne soupçonniez pas ?
Charlie : Presque tous t’amènent quelque chose, sauf quelque mauvais avec lesquels on a pu travailler.
Tania : Quand on est dirigé par quelqu’un qu’on admire, ça ne laisse plus de places au moindre conflit.
Charlie : Il n’y a pas forcément besoin d’admiration.
Tania : Admirer la vision d’un metteur en scène c’est un bon dénominateur commun pour nous deux.
Charlie : J’ai fait mon premier film, Mauvais Genre, avec Francis Girod. J’avais à la fois un maître de cinéma et en face de moi Richard Bohringer, un acteur extraordinaire qui m’avait dit : « Ce n’est pas l’acteur qui va à la caméra, c’est la caméra qui va à l’acteur. » À ce moment-là, je pouvais avoir envie d’en faire trop parce que j’arrivais de la Ligue d’impro, j’étais brut de décoffrage et pas du tout dans la subtilité du jeu.
Tania : Moi, c’est vraiment Jean-Pierre Améris qui m’a fait prendre conscience d’une partie de ma personnalité.
Charlie : Que tu étais une émotive anonyme ?
Tania : Oui. Ça m’a fait comprendre ce vertige que j’avais, d’être mieux sur scène, cachée derrière quelqu’un d’autre, ça a été très thérapeutique. Muriel a été une rencontre importante aussi, elle m’a fait comprendre le pouvoir de l’abandon alors que je suis très forte dans le pouvoir du contrôle. Muriel m’a appris la capacité à reproduire, à oser lâcher ce que l’on veut contrôler. Elle me l’a expliqué mieux que d’autres.
Charlie : Si tu arrives à te jeter d’un avion, c’est que tu fais confiance au parachute.
Quel est votre défaut dans la vie qui est une qualité pour votre métier ?
Tania : Je suis une drama queen. Je suis assez expansive, angoissée, ça doit me servir sur scène. Quand j’ai de longues périodes sans jouer, je deviens insupportable, ce n’est pas bon pour ceux qui vivent avec moi. J’ai besoin de m’exprimer sur un plateau de cinéma, de télé ou de théâtre. Sinon, dans la vie, je fatigue les autres (rires).
Charlie : Je m’ennuie vite dans la vie...
Tania : Ce n’est pas un défaut ça…
Charlie : Si, je suis vite lassé des choses. Pour ne pas m’emmerder moi-même, j’ai une obligation de me réinventer. C’est une qualité pour la scène.
Vous êtes au théâtre du Jeu de Paume pour la trilogie Goldoni jusqu’à dimanche à Aix-en-Provence. Tania, Charlie, quels sont vos prochains projets ?
Tania : Nous reprenons en janvier, février, mars, une tournée de notre spectacle Les Emotifs Anonymes adapté du film de Jean-Pierre Améris. Nous avons un projet de série en Belgique, encore à l’état d’ébauche. Il y a également Le Canard à l’orange mis en scène par Nicolas Briançon et au cinéma Le chemin du bonheur de Nicolas Steil pour lequel j’ai tourné pendant le confinement avec Mathilda May, Helena Noguerra, Simon Abkarian et Pascale Arbillot. Ça sort à la rentrée 2022.
Charlie : La saison 2 de La faute à Rousseau est actuellement en tournage. Sinon j’ai tourné dans le film Z comme Z de Michel Hazanavicius avec Romain Duris et Bérénice Béjo. J’ai aussi la mini-série Le Voyageur, de trois épisodes, réalisé par Philippe Dajoux, un Marseillais que j’adore. »
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