Elle révèle un engagement sans faille envers son art ; de sa plongée dans un monde imaginaire à la préparation méticuleuse d'un personnage, Bruna Cusí parcourt un chemin remarquable sur les plateaux de tournages et les planches de théâtre. Son désir de s'épanouir, un jour, en France témoigne de son ambition débordante et de son amour pour la diversité culturelle. En attendant que le cinéma français l'accueille à bras ouverts... Rencontre.
« Bruna, vous êtes à l’affiche du film Border Line dans les salles françaises demain. Quelle présentation feriez-vous d’Elena, votre personnage ?
Elena est une femme de Barcelone. Elle a grandi dans une famille de classe moyenne aisée. Elle a étudié la danse en Belgique, et après cela, elle a développé sa carrière dans diverses compagnies professionnelles européennes. Mais après une blessure, elle a besoin de retourner à Barcelone, et maintenant elle ne peut travailler que comme professeur de danse pour enfants. Elle se sent frustrée pour cette raison. Elle est très amoureuse de Diego. Ils décident ensemble de commencer une nouvelle vie aux États-Unis. Mais elle se sent coupable de cette décision qui implique de s'éloigner de sa famille alors que son père est atteint d'une maladie chronique. Toutes ces informations sont seulement légèrement suggérées dans le film, mais pour moi, elles ont été très importantes pour construire les états émotionnels que le personnage traverse pendant le film.
Qu’est-ce qui vous a plu à la lecture du scénario ?
C’est d’une part la critique sociale et politique : la description des abus de pouvoir qui ont lieu dans ce lieu frontalier, un non-lieu, déshumanisé, où tout peut passer, où tout est permis. Mais aussi le fait que cette critique n’empêche pas la narration tout en profondeur d’une histoire d’amour fragilisée par une heure d’interrogatoire. Cette micro et macro histoire ainsi élaborée avec rythme et délicatesse contient des dialogues très simples, mais avec beaucoup de couches et de sous-texte.
L’histoire est basée sur des événements réels vécus par les réalisateurs Juan Sebastian Vasquez et Alejandro Rojas. Que vous ont-ils confié sur leurs aventures et en quoi cela a pu vous aider dans l’interprétation de votre rôle? (et quelle a été votre préparation pour incarner Elena ?)
Alejandro et Sebas ont travaillé avec le cœur. Mon travail dans le film a été d’être sensible à leur histoire et d’être au même niveau d’implication. Ils m'ont partagé quelques passages de leurs histoires personnelles, mais on a surtout travaillé les objectifs, les antécédents et la psychologie des personnages. Nous avons également travaillé avec Gerard Oms, un coach d’acteurs, pour renforcer la relation amoureuse de Diego et Elena. De plus, je me suis formée pendant les mois avant le tournage, dans des leçons de danse contemporaine et classique, pour trouver la posture et la manière dont Elena s'exprime, car elle est quelqu’un qui a beaucoup travaillé avec son corps.
L’action se déroule dans un endroit unique, comment avez-vous joué avec les décors ?
Le tournage dans un lieu unique a permis de tourner l'histoire de manière chronologique et de focaliser l'ambiance sur la performance des acteurs. Ainsi, le sentiment d'avoir l'espace, le temps et la confiance de toute l'équipe nous a permis de jouer avec continuité et intensité les scènes et états émotionnels. De plus, jouer avec la caméra très proche du visage a été une opportunité pour travailler en détail, avec les yeux : la vulnérabilité, le présent, les nuances de toutes les réactions, le non-dit et la relation avec mes partenaires de scène.
Quel partenaire de jeu est Alberto Ammann ?
Alberto est un compagnon de jeu incroyable, généreux, talentueux, virtuose et amusant. Il a créé un personnage peureux, maladroit mais tendre. J'ai beaucoup appris de sa façon de travailler des détails physiques sans perdre en authenticité. Nous avons travaillé ensemble, avec écoute et confiance. Je pense que, grâce au talent de Laura Gómez et Ben Temple, nous avons réussi à atteindre des moments de connexion très authentiques pendant le tournage.
D'où vient votre désir d'être comédienne ? Votre papa était comédien, vous a-t-il transmis cette passion ?
À seulement six ans, avec mon groupe d'amies, nous avons organisé un spectacle pendant l'été. C'était « très professionnel », avec un mois de répétitions et de représentations devant les habitants de notre village. J'étais une enfant avec un monde émotionnel intérieur très fort et je me suis rendu compte que j'avais une facilité à oublier la réalité pour plonger dans d'autres mondes imaginaires. Cela m'a aidée à guérir mes douleurs et mes peurs. Jouer devant un public m'a fait me sentir reconnue et aimée. C'est pourquoi j'ai décidé de poursuivre cette voie en tant que profession, suivant les traces de mon père. Il m'a transmis sa passion, mais j'ai aussi dû faire face à de grandes instabilités économiques au sein de ma famille. J'ai rapidement compris que cette profession était précaire et vulnérable, ce qui représentait un défi pour moi. Cependant, J’ai réussi à surmonter les craintes de mon père pour devenir une actrice plus formée et plus préparée, sans ressentir de culpabilité à connaître un plus grand succès professionnel.
En 2010, vous obtenez votre diplôme d’art dramatique à l’Instituto del Teatro. Puis vous avez suivi d’autres cours de théâtre, dont l’Actor’s Studio avec Laura Jou. Qu’avez-vous appris ?
À l'Institut du théâtre, j'ai principalement étudié le théâtre de création. J'ai appris la méthode de Lecoq, la Commedia dell'Arte, le cirque, la danse contemporaine, les marionnettes, la construction de personnages… Mais le plus important pour moi a été de comprendre l'importance du processus dans une création collective. Après cela, j'ai commencé à travailler à la télévision dans des séries et j'ai découvert l'interprétation pour la caméra. Dans Laura Jou Estudi, j’ai appris à me montrer vulnérable, libre, détendue et à confier en la réalité du moment présent.
En grandissant à Barcelone, une ville interculturelle, comment avez-vous nourri votre curiosité artistique ?
Je suis une habituée de certains événements culturels, ce qui me permet d’être connectée au "Zeitgeist" de Barcelone. Le Festival D’A, entre autres, un festival de cinéma d'auteur idéal pour découvrir des cinéastes nationaux et européens. C'est là que j'ai découvert le beau travail de Céline Sciamma, par exemple. Il y a aussi la petite salle Zumzeig, avec une programmation très intéressante de cinéma indépendant. Au Festival grec, tu peux découvrir les nouveautés de la scène théâtrale. Barcelone est devenue une ville très touristique, mais il y a encore des lieux de résistance de l’Underground, surtout en périphérie de la ville, comme "La Infinita", où tu peux trouver les propositions artistiques les plus jeunes et originales.
Vous commencez les tournages à l’adolescence avec les séries El cor de la ciutat et Psico-express. Quels souvenirs gardez-vous de vos premiers pas devant une caméra, en tant qu’actrice ?
Je me souviens d'avoir travaillé avec Rosa Maria Sardà, une grande comédienne. J'ai été très touché par sa capacité de jeu et je me suis dit que je voulais devenir comme elle. Mais le souvenir le plus fort est les réactions au lycée quand ces séries sont passées à la télévision. J’ai expérimenté, pour la première fois, les vagues que provoque l’exposition publique propre à cette profession.
Quels sont vos prochains projets ?
Je travaille actuellement dans la série « Cites » et sur la pièce de théâtre « Le jour du Watusi » au Teatre Lliure. J’ai aussi tourné sur le film « Three Islands », dirigé par Jan Olegester, où je partage l'affiche avec Sam Riley, qui sortira en salles prochainement. Je suis chanceuse car une année chargée de tournages m'attend, mais j'ai aussi un souhait pour l’avenir. Les prix au Premiers Plans 2024 (Angers) et au Cine Horizontes (Marseille) de la meilleure interprétation féminine pour ma performance dans « Border Line » m’ont particulièrement touché car j'ai un lien émotionnel avec la France. Mon père a animé pendant plus de quinze ans une émission de chanson Française sur ComRadio (radio catalane), il m'a transmis sa passion pour la culture française. De plus, mes deux sœurs vivent à Nantes et à Marseille. Je nourris depuis longtemps le désir de travailler en français et de m'installer en France pour des périodes plus longues.
Pour conclure cet entretien, auriez-vous une citation fétiche à me délivrer ?
Un seul mot me vient à l’esprit : connexion ».
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