À l'affiche de la très ambitieuse série Une affaire française sur TF1, Blandine Bellavoir épate dans la peau de Christine Villemin. L'ado du lycée Galilée évoque avec douceur et sincérité son plaisir du jeu et les faces cachées de son métier : entre tournages et solitudes. Rencontre avec Blandine Bellavoir, enfant de la télé !
« Depuis le 20 septembre on te retrouve dans la peau de Christine Villemin dans la nouvelle série de TF1 Une affaire française. Blandine, quel a été ton sentiment en refermant le scénario de ce projet ?
Je me suis rendue compte à quel point je ne connaissais pas cette histoire. Je me protège beaucoup des faits divers, des affaires judiciaires et ce, depuis toute petite. La vie va déjà avec son lot de souffrances, je préfère chercher ce qui est lumineux chez l’être humain. J’ai tourné dans plusieurs séries et films policiers et mon métier est l’art dramatique, donc quand je rentre chez moi, je me protège.
Quand j’ai lu le scénario, j’ai été happée par la complexité de cette histoire, traitée avec beaucoup d’intelligence. L’écriture est très factuelle. Il y a eu plus de 3 000 articles sur cette affaire en 30 ans, et quand on demande à tous ceux de ma génération - je suis née l’année de la disparition du petit Grégory - tout le monde a un avis, sans vraiment connaître les tenants et les aboutissants de l’histoire. La force de la série est qu’elle est sans parti pris, ça donne une force au récit entre la rivalité, la gendarmerie/police, les failles de la justice, et ce drame qui touche des gens ordinaires dont la vie bascule dans un cauchemar extraordinaire. Et au milieu de tout ça, une histoire d’amour incroyable.
Ce qui en fait une série intemporelle aussi c’est la thématique de l’image. Aujourd’hui, avec internet, et les réseaux sociaux notamment, c’est tellement facile de se cacher derrière un écran, de salir une réputation, tout est possible avec les images et quel que soit l’âge, la violence est banalisée toute la journée, c’est une horreur. Reparler de cette histoire et remettre tout dans son contexte, c’est une façon de rappeler que l’homme peut être capable du meilleur comme du pire. Et aussi de remettre de l’humanité dans une affaire où il n’y en a jamais eue. Il faut être attentif aux gens, respecter leurs peines.
Est-ce que tu as ressenti une certaine responsabilité à incarner un personnage non fictif ?
Complètement. Je pensais à elle en permanence. Il y a une responsabilité hyper forte et une conscience respectueuse de leur histoire. Christine s’inscrit dans un noyau dur, une jeune famille très aimante, balayée par la jalousie. Et va en résulter un Amour encore plus fort. Là aussi, dans l’écriture, il y a une juste pudeur - qui déjà les définit bien et qui devient de l’élégance.
Ça a été difficile de sortir du rôle ?
Pas que c’est difficile de sortir du rôle, j’ai toujours un garde-fou… Ce rôle m’a fait prendre conscience de plein de choses comme le fait que je ne fais pas un métier commun. Les sourires, les rires qu’on a et les larmes qui glissent sur nos joues marquent notre visage, notre corps, marqués par toutes ces expressions qui, pourtant, ne sont pas les nôtres. Si notre corps à cette empreinte, notre cœur l’a aussi. Ici l’histoire a vraiment eu lieu, les protagonistes vivent encore, on n’a toujours pas la résolution de cette histoire…
Peut-être qu’on ne l’aura jamais…
Il y a le respect de la mémoire de cet enfant aussi et de la peine de ses parents. Le documentaire de Netflix est bien fait mais cette série permet de se mettre à leur place. Le récit est très choral et permet vraiment de prendre conscience de la complexité de toute cette histoire. Ça permettra peut-être aussi au téléspectateur de réfléchir car ils ont tous des convictions. Je ne suis ni avocate ni juge. J’ai essayé d’être dans sa vérité. Chaque interprète comme chaque individu a une façon d’exprimer sa douleur qui est différente. Et avec le réalisateur, on ne recherchait pas le mimétisme.
Tu partages l’affiche avec un très joli casting dont Guillaume Gouix, qui incarne Jean-Marie Villemin. De façon générale, qu’attends-tu de ton partenaire de jeu ?
Qu’il cuisine bien parce qu’on va passer beaucoup de temps ensemble (Rires). J’attends de la bienveillance, du respect et une envie de jouer. J’ai de la chance car c’est souvent le cas. Je n’ai pas trop à me plaindre, j’ai toujours des partenaires respectueux. Je ne connaissais pas du tout Guillaume, mais ça a été une évidence. On s’est rencontré et ça a marché direct. On avait tous les deux la volonté de faire un travail méticuleux.
Nous, on interprète des personnages en fonction de ce qu’on a perçu d’eux. Mon personnage fonctionne vraiment en duo. Il y a plein de moments dans la série où nos phrases ont vraiment été dites par les personnages. Ça a une résonnance quand on est comédien. Quand il y en a un qui s’écroule, l’autre le tient. On était dans une confiance totale, à se perdre dans les yeux de l’un et de l’autre. Ce projet m’a fait grandir en tant que femme et maman mais aussi en tant qu’actrice. J’ai l’impression d’avoir compris ce que pouvait être la forme de l’Amour.
Dans Une affaire française, c’était aussi les retrouvailles avec le réalisateur Christophe Lamotte pour lequel tu as tourné en 2018 dans Insoupçonnable…
J’aime beaucoup l’individu, j’ai confiance en lui. Il a une mise en scène très intelligente, très élégante, qui ne fait pas de concession et en même temps il y a de la douceur et du respect. Sur ce tournage, on a eu l’impression de participer à quelque chose qui avait de l’importance. On a une mémoire, une douleur, une peine à respecter.
Ça m'a fait du bien d’être tous ensemble. On a été un des premiers tournages à reprendre après le premier confinement. C’était particulier, il y avait une ambiance, une belle énergie malgré le contexte. On ne s'en rend pas compte mais avec le covid les acteurs ne pouvaient plus se toucher, plus s’embrasser. Le monde devenait fou et on tournait une histoire où le monde devenait fou aussi.
Une affaire française une série très ambitieuse...
Je trouve que la télé connaît un renouveau, c’est un outil communicatif et éducatif incroyable. On a un savoir-faire Français, on a une histoire très forte. Il faut arrêter de tout vouloir mondialiser. Je suis Bretonne et j’ai plein de défis à mener.
Comme le cinéma par exemple ?
J’adore y aller. Je fais un métier de rencontres et c’est assez plaisant, je peux me balader au ciné, au théâtre, faire des lectures, enregistré des livres audio… ! J’ai joué dans une série pendant beaucoup de temps et qui m’a fait émerger mais aussi empêcher de faire du théâtre par exemple. Par an, je faisais quatre films avec Les Petits Meurtres et à côté je faisais une série ou deux films, quelques festival de littérature, et il faut essayer d’avoir une vie aussi (Rires). Une affaire française m’a fait comprendre aussi qu'il ne faut pas trop tourner. Dans ce métier on donne beaucoup, il faut pouvoir recharger les batteries.
Jean Dujardin disait : "Je ne tourne pas sans arrêt. Je crée volontairement le manque pour y retourner avec beaucoup de gourmandises."
C’est ça, avoir cette envie de revenir. Les tournages c’est un peu comme des marathons. On vit de très grosses journées. Souvent, on fait des trucs qu’on ne ferait pas dans la vie. On ne se mettrait pas en danger, on ne s’imposerait pas un inconfort pareil. Je suis tellement heureuse de jouer. Enfant, je jouais. Adulte, je joue.
Justement, à quel moment ce métier est entré dans ta vie ?
Je ne sais pas trop. J’ai commencé à faire du théâtre dès la primaire. Je montais sur scène, c’était simple et joyeux. Il y avait tellement d’adrénaline. Et puis ça a continué au collège. Il n’y avait pas de cinéma dans la ville où j’ai grandi, c’est pour ça que je trouve la télé très noble. Je regardais toutes ses grandes fresques de France Télévisions dans les années 90, les premières séries comme Docteur Quinn, femme médecin. J’ai vu les premiers épisodes, assez féministe avec une femme qui devient médecin dans le grand ouest américain. J’ai grandi avec les héroïnes de télévision. J’ai été bercée par ça.
Je suis la fille d’une gestionnaire de carrière et d’un facteur mais surtout d’artistes, j’ai grandi dans une culture très bretonnante. Mon père faisait beaucoup de peintures, il était extraverti et très drôle. Une famille un peu de clowns. Je faisais beaucoup d’arts plastiques, une manière de m’exprimer aussi beaucoup. J’avais des moments extravertis et d’autres introvertis, un bon équilibre pour moi. Je comprends aujourd’hui qu’il faut revenir vers ça. Je pense que ces dernières années j’ai un peu trop travaillé. C’était la soif et la vitalité de mes vingt ans. J’apprends maintenant à m’économiser. Je me préserve davantage. Avoir eu un enfant me permet de couper avec mon travail.
Quels souvenirs gardes-tu du Conservatoire de Nantes ?
Ce qui m’a propulsée, c’est mon premier casting passé à Paris pour jouer dans un long-métrage, et je l’ai décroché. J’ai rencontré Claudia Cardinale, Bruno Salomone, Alexandra Lamy, des acteurs incroyables. Ce tournage, c’était comme un premier stage. J’ai eu envie d’apprendre. Je suis allée me former en Biélorussie pour faire un gros stage à Minsk avec l’association Demain le Printemps. Les cours étaient dispensés par des anciens élèves de l’Académie des Arts de Minsk, l’équivalent du Conservatoire National de Paris. Ils ont une approche corporelle, ça a été un vrai déclic. En rentrant, j’ai passé un casting que j’ai eu et ça s’est enchaîné. Des gens merveilleux ont croisé mon chemin.
Tu dis que ton métier est solitaire. Comment pourrais-tu l’expliquer aux téléspectateurs qui vous voient en bande sur des tournages ? Vous semblez plus accompagnés que tout seul…
Quand on part en tournage, on est loin de nos familles, de notre confort affectif, parfois pendant des mois. Quand on tourne beaucoup, il faut avoir un entourage compréhensif. Il y a des périodes où on est très présents et d’autres pas là du tout. Il faut raccrocher les wagons tout le temps. Notre travail demande de la rigueur, on doit apprendre beaucoup de textes et y mettre des émotions. Et en même temps, il y a de la grâce quand une scène s’envole. On a aussi nos problèmes, comme tout le monde, on peut être mal luné quand on arrive le matin.
Quand on part en tournage, même si l’on rencontre plein de gens sympathiques, on est seul dans notre chambre d’hôtel. On vit des choses très fortes. On crée aussi des liens avec des gens qu’on ne reverra peut-être jamais. C’est un travail d’artisanat, entre ce que l’on ressent et ce qu’on arrive à faire ressentir sur un plateau, c’est délicat.
On est dans une société où parler de nos émotions est péjoratif. Que ce soit pour les hommes ou les femmes, c’est dommage. Je trouve ça beau d’avouer ses faiblesses. Dès qu’on les avoue, ça veut dire qu’on les reconnaît. Se connaître soi-même, c’est le début de s’aimer soi-même. On va très très loin là, la question c’était la solitude, non ? (Rires)
La solitude mais aussi la peur de l'échec...
Quand un projet ne marche pas - et ça arrive - on vient taper sur les acteurs. Alors que nous ne sommes qu’un maillon d’une série ou d’un film. C’est un travail collectif. Souvent, les travaux d'écriture ont commencé il y a deux ou trois ans avant le tournage. On n’a aucune main mise sur le montage non plus. Maintenant, j’en veux aux projets quand des acteurs sont mis en difficultés. Je me demande comment on a pu les envoyer aux turbins comme ça. Mais heureusement la télé est en train de changer, on ne la consomme plus comme avant et on voit arriver des projets de plus en plus ambitieux. L’Histoire de France et la langue française sont si passionnantes. Tout ce qui est communautaire fait un peu peur mais ce n’est pas du tout clivant. Il y a une transmission hyper importante qui doit continuer. La culture (dans tous les sens du terme !) est précieuse.
Malheureusement délaissée au premier temps du Covid…
On n’a pas pris soin des antagonistes qui font la culture mais par contre, on a été bien content de retrouver toutes nos créations. C’est assez illogique. Une culture en danger, c’est un pays qui va mal. On ne devrait pas laisser les activistes et les intermittents se battre seuls pour la culture.
Quels sont tes futurs projets ?
J’écris un documentaire sur la dépression post-partum et sur le devenir parent et toute la complexité que cela peut générer. D’apprendre que le suicide est la deuxième cause de mortalité chez les mamans a été un déclencheur. Ensuite, je vais retrouver Marseille en octobre et novembre pour un film de Caroline et Eric Du Potet. Ils ont écrit l’histoire d’une trentenaire qui va se rendre compte qu’elle ne veut pas d’enfants. Il y a tellement d’injonctions données par la société à devenir maman… Je suis très contente de retourner à Marseille. J’en garde un souvenir très agréable d’une lumière très chaude. C’est une douceur de vivre très différente de la Bretagne. J’adore y aller même si j’appréhende un peu car c’est une époque de ma vie tellement loin (Rires). J’avais 25 ans, j’étais une autre personne.
Que peut-on se souhaiter pour l'avenir ?
On va se souhaiter plus de curiosité et de bienveillance pour les temps à venir. Il faut prendre ses responsabilités. Le changement passe par nous et moi, j’y crois vraiment. »
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