Le cinéma coule dans ses veines. On pourrait discuter pendant des heures avec lui. Arnaud Viard, réalisateur, scénariste et acteur, prête ses traits au mystérieux et sulfureux Jean-Marie Balestre dans la nouvelle série de Netflix, Senna. Derrière chacune de ces interprétations, Arnaud y apporte un peu de lui, toujours. Sa filmographie nous invite à se regarder, à s'intéresser à l'autre, avec une intime et sincère approche. Rencontre avec un metteur en scène de la vie.
« Arnaud, on vous retrouve actuellement dans la série Senna sur Netflix, dans laquelle vous incarnez Jean-Marie Balestre, le président de la Fédération automobile. Quelle présentation feriez-vous de votre personnage ?
J’ai le rôle d’un sale type. Ce personnage est trouble, décrié, il appartient à une autre époque, celle des années 80 en l’occurrence, où celui qui parle le plus fort a raison. Le metteur en scène Vicente Amorim reprenait souvent cette phrase clé de Jean-Marie Balestre : « The best decision is my decision. » On ne discute pas (rires). Aujourd’hui, on ne dirige plus comme ça.
Il porte de grosses lunettes teintées, on voit rarement son regard…
Exactement. J’ai pris l’option, avec la costumière, qu’il soit toujours habillé pareil, ce que je trouvais être un bon choix. Je suis arrivé à Buenos Aires quatre jours avant de tourner, pour faire les essais coiffures, maquillages et costumes. L’accessoire principal pour Balestre, ce sont les lunettes teintées avec cette monture très spécifique des années 80, que Jean Gabin portait à un certain moment. C’est comme ça qu’un personnage naît quand vous êtes acteur, par des petits détails.
Quelles images vous reviennent des essais ?
J’avais envoyé une self-tape en anglais, puis une semaine après, j’ai fait un zoom avec le réalisateur et la directrice de casting pendant lequel Vicente m’a dirigé pendant une heure. Pour la self tape, je m’étais habillé comme Balestre, avec des lunettes similaires, et surtout, j’avais mis du coton dans mes lèvres inférieures comme Marlon Brando dans Le Parrain pour avoir une tête plus carrée. Plus un méchant est fort, plus la série sera forte. J’aurais aimé qu’il y ait deux ou trois scènes supplémentaires où l’on aurait vu et compris à quel point Balestre se comportait mal avec Senna.
Vous étiez un fan de Formule 1 ?
Oui, à l’époque de Prost et Senna. Je me souviens avoir pleuré à la mort de Senna. J’avoue ne plus avoir de souvenirs de F1 après, car tout simplement je crois que j’ai arrêté de regarder après sa mort tragique.
En plus du cinéma, le sport fait aussi partie de votre quotidien…
J’adore le sport. Je voulais être footballeur et acteur. Footballeur, je me suis laissé rattraper par la vie. À partir de 14 ans, le foot ne prenait plus le pas, c'étaient les filles. Quand on vous demande de faire trois entraînements par semaine, plus un match le dimanche en cadet, vous le faites. Mais quand vous sortez le samedi soir, le dimanche sur le terrain, vous vomissez parce que vous avez trop bu la veille (rires). C’est comme ça que l’on se met soi-même hors-jeu.
Comme Senna, on a tous eu un déclic qui nous a amenés vers une passion. Pour vous, Arnaud, c’était en 1990 quand vous voyez pour la première fois Le Cercle des poètes disparus, à Londres…
Je viens de la bourgeoisie provinciale de Dijon. Mes parents ne voyaient pas du tout d’un bon œil le métier d’acteur. J’ai fait une école de commerce pour leur plaire, puis je suis parti à Londres pour travailler chez Pernod Ricard pendant un an. C’était au début des années 90 et effectivement, j’avais vu Le Cercle des poètes disparus. En rentrant à Paris, je me suis dit que j’étais en train de passer à côté de ma vie : celle d’être acteur et d’écrire des films. J’avais peur et je me souviens d’avoir appelé Isabelle Nanty, la seule personne que je connaissais un petit peu dans le métier. Elle m’a dit de foncer. Parfois, c’est juste un mot de quelqu’un qui vous donne confiance.
En tant qu’acteur, vous avez tourné pour Patrice Chéreau, Tonie Marshall, Jean-Pierre Améris, Étienne Chatiliez et tant d’autres. Qu’apprenez-vous de chaque réalisateur ?
Patrice Chéreau, il vous scanne sur place. Je n’ai jamais vu un regard aussi fort. Vous êtes déshabillé. Étienne Chatiliez, je lui faisais penser à Truffaut, ce qui m’a poussé à regarder les films et à comprendre en quoi j’avais quelque chose d’Antoine Doinel. Les metteurs en scène ont parfois un regard sur vous qui vous dit que vous appartenez à tel univers. Plus tard, j’ai fait un film sorti dans le monde entier, sauf en France, qui s’appelle Paris Can Wait d’Eleanor Coppola. Elle m’a choisi parce que je représentais, pour elle, « the perfect french man ». Pourtant, elle avait vu des acteurs beaucoup plus connus que moi.
Vous avez réalisé quatre longs-métrages (Clara et moi, Arnaud fait son deuxième film, Je voudrais que quelqu’un m’attende quelque part et Cléo, Melvil et moi). Pour vous, quel serait le fil rouge qui relierait ces quatre films ?
Je pense avoir développé, à travers ces films d’auteurs, un univers un peu intime, d’autofiction. Il se trouve que je n’ai pas pu jouer le rôle principal dans Clara et moi parce que le producteur aurait refusé de me produire si je voulais tout faire. Ça a donc été une love story entre Julie Gayet et Julien Boisselier. Je voudrais que quelqu’un m’attende quelque part, c’est un mélodrame familial adapté d’un best-seller d’Anna Gavalda. Cléo, Melvil et moi, ça va encore plus loin, avec un petit budget où j’ai pu faire exactement ce que je souhaitais avec mes enfants. Ces projets naissent hors industrie et parfois, des miracles arrivent. J’aime beaucoup mon dernier film, acheté par Canal + l’année dernière, même s’il n’a pas marché en salles. En tant que cinéaste, je voudrais, à l’avenir, me tourner vers un cinéma moins intimiste et plus tourné vers le public.
En tant que scénariste, avez-vous un rituel d'écriture ?
Je suis très frais le matin pour écrire, de 8h à midi ou parfois, quand j’ai une insomnie, de 4h à midi. J’écris des scènes, une musique peut me donner une idée, puis je change ou déplace une scène pour avoir l’ordre qui va faire le film. Je n’ai pas fait d’école de cinéma ou de scénariste. J’ai appris sur le tas, en me formant moi-même. J’ai beaucoup travaillé sur mon premier scénario, pendant plusieurs années, puisque au début personne ne voulait le financer. Arnaud fait son deuxième film et Cléo, Melvil et moi, je les ai faits seul dans mon coin après les avoir écrits très vite. Peut-être sont-ils moins aboutis.
Vous avez également signé trois courts-métrages : La Fleur à la bouche, Oui, Haïku, Rose Victoria...
La Fleur à la bouche, c’était d’après une nouvelle de Pirandello, dans lequel je joue l’un des deux rôles. C’est l’histoire d’un jeune homme qui attend sa fiancée, le 24 décembre, dans le café d’une gare. Puis un monsieur d’une soixantaine d'années, un peu trouble comme pouvait l’être Niels Arestrup, va arriver. Une conversation s’engage entre eux. Yves Le Moign, mon ancien prof du Cours Florent, devait faire ce rôle et m’a planté trois jours avant le tournage. Je pensais ne pas faire le film et puis j’ai appelé Isabelle Nanty qui m’a conseillé de prendre une femme pour jouer ce personnage. J’ai alors relu mon scénario en imaginant une fille et ça marchait totalement. J’ai choisi Astrid Bas qui venait du Conservatoire et que je connaissais. Le film a trouvé une certaine grâce avec ce changement.
Quels sont vos prochains projets ?
J’ai écrit une comédie dans laquelle trois hommes de soixante ans vont faire une collocation pour des raisons financières et de solitude, aussi. Une façon de recréer de nouvelles familles. J’espère qu’il va se faire l’année prochaine. Ensuite, j’ai le projet d’une grande histoire d’amour avec de jeunes acteurs. Et puis j'ai écrit un traitement d'une vingtaine de pages pour une adaptation contemporaine de Martin Eden.
Pour conclure cet entretien, auriez-vous une citation fétiche à me délivrer ?
« Ce n'est pas parce que les choses sont difficiles que nous n'osons pas, c’est parce que nous n'osons pas qu'elles sont difficiles » de Sénèque. »
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