Il est des artistes dont la danse semble écrire l’émotion dans l’espace, des interprètes qui transcendent la technique pour toucher à l’essence du mouvement. Annarita Maestri fait partie de ceux-là. Danseuse au Ballet de Milan, elle incarne cette passion viscérale qui forge une carrière, ce feu intérieur qui donne vie aux personnages. Dans la peau de Juliette, elle ne se contente pas de danser : elle raconte, elle ressent, elle vit. Annarita a fait de la rigueur et de la discipline des alliées précieuses. Mais au-delà des prouesses techniques, c’est dans la sincérité de son interprétation qu’elle excelle. Et lorsque le rideau tombe, il reste cette empreinte invisible, ce frisson suspendu dans l’air, preuve que l’art, quand il est porté avec une telle intensité, ne s’oublie jamais. Rencontre.

« Annarita, on te retrouve actuellement dans Roméo et Juliette avec le Ballet de Milan. Comment ce projet s’est présenté à toi ?
J'ai obtenu mon diplôme de l'École de ballet de l'Opéra de Rome en juillet 2019 et, en septembre de la même année, j'ai commencé à travailler avec le Ballet de Milan. C'est ma cinquième saison avec eux. L'année dernière, on m'avait confié le rôle de Juliette et, tout au long de la saison, nous avons donné plus de 30 représentations. Cette année, nous avons présenté la production dans le sud de la France, notamment à Marseille.
Comment le Ballet de Milan apporte-t-il sa propre vision à cette œuvre mythique ?
La version est fidèle à la tragédie de William Shakespeare. Le style du chorégraphe (Federico Veratti) allie virtuosité classique et expression plus moderne. La couleur dorée des costumes et du décor enrichit le cadre de ce qui est la plus grande histoire d'amour de tous les temps.
La musique de Tchaïkovski est magistrale et très narrative. Quelle place prend-elle dans ton interprétation ?
Je crois que la musique est le premier moyen d'évoquer une émotion. La musique de Tchaïkovski, parfaitement adaptée au ballet, joue un rôle crucial pour m'aider à exprimer toutes les émotions que je ressens lorsque j'interprète Juliette, comme si mes mouvements étaient guidés par la musique elle-même.

Quel est ton travail pour incarner Juliette ?
L'histoire de Roméo et Juliette représente le symbole ultime de l'amour surmontant tous les obstacles. Mon objectif principal, à chaque fois que je me mets dans la peau de Juliette, est de transmettre au public toutes les émotions que je ressens en interprétant le rôle. Le défi consiste à passer d'une jeune fille innocente et joueuse à une femme amoureuse, puis à une âme désespérée qui met fin à ses jours par amour, le tout en seulement une heure et demie.
La première étape a sans aucun doute été de recueillir un maximum d'informations sur l'histoire. Pour m'immerger pleinement dans un personnage, je dois comprendre tout ce qui se passe autour de lui. Ensuite, un travail approfondi en studio sur la technique et le rendu artistique. Enfin, une fois les deux maîtrisés, il y a une étape supplémentaire qui consiste à affiner la profondeur émotionnelle du personnage. Sur scène, j'essaie de tout imaginer, de créer une connexion profonde avec Juliette. À mon avis, le moment le plus exigeant émotionnellement est celui où Juliette hésite à boire le poison qui simulera sa mort. Cette scène est très intime et représente un combat intérieur. À la fin du spectacle, j'ai l'impression de m'être libérée d'un lourd fardeau : je ressens des émotions contrastées et je finis par prendre une décision.
Je suis incroyablement satisfaite et reconnaissante lorsque les gens nous rejoignent en coulisses après la représentation pour exprimer leurs émotions et partager leur appréciation. C'est merveilleux de se connecter avec le public et d'échanger des sentiments à travers notre art.
Comment est née ta passion pour la danse ?
Des premières satisfactions de mon enfance, lorsque j'ai obtenu mes premières bourses. En entrant à l'École de Ballet de l'Opéra de Rome, j'ai compris que je faisais un choix de vie irréversible : ce serait ma future carrière. Chaque jour, je me suis passionnée pour cette discipline, malgré l'environnement strict. Et c'est toujours le cas aujourd'hui. Plus j'avance, plus il m'est difficile d'imaginer une vie sans danse. C'est un métier qui exige un effort physique et mental considérable ; c'est un véritable style de vie. Pour moi, la danse occupe également une place importante dans ma vie privée en dehors du travail. Nous, les danseurs, sommes naturellement perfectionnistes, toujours en quête d'inspiration… Je regarde souvent des performances ou des vidéos des plus grands danseurs de notre époque pour m'imprégner au maximum de leur art.

Quelle a été ta formation pour devenir danseuse ? As-tu fait une école ? Si oui, laquelle et qu’as-tu appris ?
À 15 ans, j'ai quitté Plaisance afin d'intégrer l'École de Ballet de l'Opéra de Rome. Les premiers mois ont été extrêmement difficiles, car je n'étais pas habituée à cette charge de travail. Pour progresser techniquement, un danseur a besoin d'un corps fort et solide. Je me souviens que les cours de physiotechnique, destinés à renforcer les muscles et à améliorer la souplesse, étaient extrêmement exigeants. Ces années ont été épuisantes… Mais mes professeurs m'ont inculqué passion et technique, et grâce à eux, j'ai rapidement trouvé un emploi qui me procure encore aujourd'hui une grande satisfaction.
Te souviens-tu de ta toute première représentation en tant que danseuse professionnelle ?
Mon premier spectacle professionnel a eu lieu au Théâtre Ariston avec le Ballet de Milan dans la production de « Cendrillon ». C'est arrivé par hasard : j'étais stagiaire à l'époque, mais un danseur s'est blessé et j'ai dû apprendre le ballet en entier en seulement deux jours. Dans ce métier, les opportunités se présentent parfois de manière inattendue, et il faut les saisir.

Comment la danse a-t-elle façonné ton quotidien, ta manière de voir le monde ?
Le milieu de la danse étant très exigeant et plein de défis, la résilience que j'ai développée au fil des ans m'a donné un avantage dans tous les aspects de ma vie, y compris dans ma vie personnelle. Ce que cette profession m'a apporté – et continue de m'apporter – c'est l'ambition, le sacrifice, la discipline et la résilience. Chaque représentation suscite une série d'émotions et de sensations – de la tension d'avant-spectacle au sentiment de satisfaction et de soulagement à la fin. M'immerger dans un personnage suscite des émotions contrastées – une nouvelle histoire à chaque fois.
Quel est ton quotidien en tant que danseuse du Ballet de Milan ?
La compagnie effectue régulièrement des tournées en Italie et à l'étranger. Lors de courts séjours, nous jouons généralement le soir même et nous déplaçons dans la ville suivante le lendemain. Pour les séjours plus longs, nous avons souvent quelques jours de libre, ce qui nous permet d'explorer de nouvelles villes. Nous donnons plus de 130 spectacles par an, ce qui représente une charge de travail intense. Malgré la fatigue, chaque voyage est source de belles expériences, de moments partagés et de véritables liens.
Comment vois-tu l’évolution de la danse classique aujourd’hui ?
Je crois qu'il est désormais évident que ces dernières années, la danse est devenue plus athlétique au détriment de l'artistique. Malheureusement, dans un théâtre ou une compagnie, si vous n'avez pas les qualités physiques nécessaires à la danse classique, vous risquez de ne même pas être retenu. Il faut se rappeler que l'émotion qu'un danseur transmet est bien plus importante que le nombre de pirouettes qu'il peut effectuer ou la hauteur à laquelle il peut lever les jambes. Cependant, je serais malhonnête si j'affirmais que les stars de la danse d'aujourd'hui sont inférieures à celles d'autrefois : certains danseurs incroyables allient avec brio athlétisme et art.

Quels sont tes prochains projets ?
Je suis constamment en tournée avec la compagnie et j'en suis très heureuse. J'y trouve de nombreuses satisfactions professionnelles… Et je m'attaque souvent à des projets plus modestes pour élargir mes compétences et mon expérience.
Pour conclure cet entretien, aurais-tu une citation fétiche à me délivrer ?
Plus un projet demande d'efforts et de sacrifices, plus le sentiment de satisfaction et d'accomplissement est grand lorsque l'on atteint ses objectifs. »
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